La joie de regarder et de comprendre est le plus beau cadeau de la nature
Albert Einstein
Une biographie d'Edgar Morin
Par Jacques Nerson
Emmanuel Lemieux (1) signe un excellent portrait de celui qui se veut sociologue, philosophe, journaliste et anthropologue.
Fermons les yeux. Quelle image persiste sur notre rétine du maître-penseur plus que maître à penser car il n'a pas édifié de doctrine : «Une doctrine signifie un système qui s'autosuffit et s'autodémontre inlassablement, qui trouve toujours en soi sa propre preuve. Or je crois qu'aucun système ne peut trouver en lui-même sa propre preuve.»
Bien malin qui peut indiquer sa fonction. Historien ? Journaliste ? Anthropologue ? Philosophe ? Lui, il se revendique principalement comme sociologue. Mais certains lui refusent ce titre. Tel Pierre Bourdieu, qui a toujours dénié la valeur scientifique de ses ouvrages. De même, les auteurs du «Dictionnaire des sciences humaines» (PUF) qui passent délibérément ses travaux sous silence. Morin ? Connais pas. Pourquoi tant de haine ? Ses interventions dans les médias, qui en font une voix prééminente parmi les intellectuels de gauche, y sont certainement pour quelque chose. Mais il faut aussi compter avec la méfiance des spécialistes envers celui qui relie les savoirs. Ce n'est pas un hasard si l'on a vu en lui le Diderot d'aujourd'hui.
Et puisla complexité de ses positions l'expose aux malentendus. Jugez-en : avant-guerre, le pacte germano-soviétique est loin de scandaliser ce jeune pacifiste. Il déplore que la France ne s'aligne pas sur l'URSS. Réticent au stalinisme, il entre sous l'Occupation au Parti communiste, le sociologue marxiste Georges Friedmann lui ayant présenté cet engagement comme une expérience à tenter. Le stalinisme lui semble alors un «stade certes barbare, mais inévitable et nécessaire pour sauver l'humanité de la barbarie». Ayant rejoint la Résistance en 1943, il y fait des rencontres décisives : François Mitterrand, Robert Antelme, Dionys Mascolo, Marguerite Duras... (c'est lui qui convertit les deux derniers au communisme).
Dès 1949, l'article de son ami François Fejtö sur le procès de Lazlo Rajk, ministre hongrois condamné à mort pour déviationnisme, l'inquiète. Ce qui plus encore l'alarme, c'est la réaction du PCF qui traite incontinent Fejtö d'espion. Mais après s'être longtemps fait prier pour entrer au Parti, Morin ne se résout pas à le quitter. Ce n'est qu'en 1951 qu'il en sera exclu. Sous le coup du chagrin, il conserve le silence. Puis, en 1956, l'écrasement de la Hongrie le force à sortir de sa tente : «Le communisme issu du bolehevisme était devenu l'ennemi de l'humanité.»
En 1950, déjà remarqué pour son essai «l'An zéro de l'Allemagne», parrainé par Jankélévitch, Merleau-Ponty et Pierre George, Morin était entré au CNRS par la petite porte. Au titre de stagiaire de recherche à la section de sociologie. Sa formation n'était pas orthodoxe mais, comme le signale Lemieux, «le CNRS de l'époque ressemble à une nouvelle terre, et la sociologie à une toute neuve Amérique». Il écrira donc sur la mort, le cinéma, la culture de masse, la rumeur d'Orléans, la culture yé-yé... Sur quoi n'a-t-il pas réfléchi ?
Ses articles de «France Observateur» lui apportent la notoriété. En 1958, pendant la guerre d'Algérie, il y soutient l'auteur de «la Question», son ancien condisciple du lycée Rollin, Henri Alleg. Mais il a des antennes et, en 1960, subtilité typiquement morinienne, se méfiant de la prépondérance du FLN, n'appose pas sa signature au bas du Manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission. En Mai-68, au lieu de se draper dans sa dignité quand les étudiants de Nanterre le traitent de vieux con, il sympathise avec cette «révolution ratée» où il voit une «révolte réussie».
Juif, il dit : «Le judaïsme n'est pas ma patrie. [.. .] Je suis d'eux, je ne l'oublie plus. Mais je ne les élis pas.» Emu par le sort des Palestiniens, il passe pour anti-israélien. Emu par le sort de la Serbie, il passe pour proserbe.
Sympathisant socialiste, il ne donnera jamais sa voix à François Mitterrand, à qui, selon lui, manque le souffle de Mendès France ou de Kennedy. Mais il lui apportera un soutien sans faille quand, après les révélations de Pierre Péan, Edwy Plenel lancera sur lui ses foudres. On ira jusqu'à le dire sarkozyste lorsque Henri Guaino lui empruntera sa formule de «politique de civilisation» pour la glisser dans les voeux présidentiels de 2008.
Bien sûr, Morin n'a pas toujours raison. Au moins ne persiste-t-il jamais dans l'erreur. Grâce à son goût des femmes, des calembours vaseux, de la série «Star Trek», des soirées arrosées entre amis, des dégustations de pâte negra... Parce qu'il est «amoureux du monde» plus que des idées. Le dernier mot à son biographe : «Edgar est un traceur chimique très sûr du XXe siècle, de ses illusions a ae ses saloperies, de ses audaces et de ses paris. Il n'a pas raté grand-chose du théâtre des idées et de la politique. [...] Faire une biographie d'Edgar Morin, c'est aussi faire celle du siècle.»
J.N.
«Edgar Morin l'indiscipliné», par Emmanuel Lemieux, Seuil, 576 p., 25 euros.
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Source :
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