J’ai écrit ce texte entre 1995 et 2000.
« L’année du crocodile, chronique divertissante d'une ville de banlieue » est une succession de
tableaux de la vie à Thébeauville, caractérisée par l’abondance de ses populations d'origines étrangères et la diversité de leurs cultures.
La ville va connaître un bouleversement politique après la défaite des Rospoints et l’arrivée à la Mairie du
Marquis de la Rupée.
La chronique est construite
autour de trois moments : avant, pendant et après la campagne électorale.
L’ensemble de la période est vue à travers le regard de Victorem, Directeur des Fêtes et des
Divertissements ; acteur et témoin de cette restauration bonapartiste locale.
J’ai dit
L’ASPIRATION DU FAUTEUIL
insi adoubé, dopé par une vitalité sans faille qui lui redonnait la fougue et l’intrépidité de son adolescence
rugbistique, sûr de sa destinée, il était désormais prêt à en découdre pour rendre le Thévillois à la monarchie républicaine que l'Etat venait de réintégrer de fraîche date.
Son but éclairait désormais sa pensée, clair et limpide comme l’eau de la source : écraser l’hérésie de la répartition
des prodigalités d’une croissance réduite à une peau de chagrin au fil des ans, en finir une bonne fois pour toute avec la vision pessimiste de ceux qui ne voient que par les yeux des
impécunieux, des nécessiteux, des miséreux et des prolétaires de tous les pays.
- Oui, comme Simon de Montfort nous mèneront ensemble la croisade exterminatrice contre les hérétiques des libertés
individuelles ; nous placeront la vallée et les riches plateaux du Thévillois sous l’autorité de la République et dans le giron de la Loi. Et si cela s’avère nécessaire pour préserver l’unité de
la République sur notre territoire, je ferai dresser le bûcher des dernières idées collectivistes ! proclama-t-il lors d’un banquet républicain.
Puis, s'adressant à son vieil ami Mario, entrepreneur de peinture en bâtiment bien connu des vieux thébeauvillois
:
- Tu vois Mario, je vais te dire une chose, la politique, c'est d'abord une affaire de professionnels. Comme disait
justement le poète « c’est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ». Si tout le monde y met son grain de sel c’est le
foutoir et tout va à vau-l’eau. On va la prendre cette ville, et les pseudos citoyens qui font la pluie et le beau temps avec leurs ethnies à la Mairie en ce moment, ne se feront pas prier deux
fois pour faire leurs valises en carton !
- Roger Marquis, je te reçois cinq sur cinq. Une Mairie, c’est une petite entreprise. Alors je vais te dire
une chose mon petit. Méfie-toi de ça : maintenant tout le monde est directeur de ceci ou cela. Moi je te le dis, il faut qu’il y ait un patron et un seul, et point-t-à la ligne, acquiesça
Mario.
Le caractère du Marquis le poussant en permanence vers l’intempérance, l’adversité et l’ostentation, il trouvait dans
l’exercice des combats de la vie publique le moyen d’étancher sa soif d’aventure. Dans son esprit il ne pouvait se défaire de l'idée que seules la victoire et l'extermination de l'adversaire
légitiment la puissance et la domination, et ouvrent grand les portes de la liberté. La rivalité, l’agressivité et la rouerie sont inscrites dans les gènes de l’homme disait-il ; les
scientifiques l’ont démontré. Il y a ceux qui prennent en mains leur destin comme lui, et ceux qui le subissent. Fort de ces allégations, il n’en était pas moins convaincu que, puisqu’il fallait
quelqu’un qui dominât cette ville, autant que ce fût lui.
Car il n’était que de jeter un coup d’œil rapide sur les candidats potentiels au pouvoir local, pour se rendre compte
qu’aucun d'entre eux n’avait véritablement la pointure pour tenir cette ville longtemps. Personne dans les rangs des siens et des partis conservateurs, ne réunissait les conditions pour emmener
la nouvelle majorité et hisser le pavillon bleu sur le toit du Palais Communal.
Fallait-il alors laisser la ville aux mains des prétendants à la succession du bourgmestre, et à leurs acolytes
faucimartaux, dès lors que leurs chances de conserver la place étaient pour le moins réduites ?
Non, le bourgmestre incarnait à lui seul l'ancienne majorité des rêves dissous et son départ signifiait l'effondrement
du dernier rempart des humanistes. Sans son éclaireur le petit peuple s'égarera dans les ténèbres, et seule une main opportunément tendue avant la chute dans l'abîme pourra providentiellement le
sauver.
Laisser les illuminés de la Ligue Nationaliste Sécuritaire s’installer, décliner une partie de son propre programme
dans une version plus rigide, brutale et vieillotte ? Impensable, ce serait abandonner l'autre partie du troupeau aux loups et aux féroces goupils.
La place était à prendre et l’horizon bien dégagé sous la visière de la Sainte Salade de notre Marquis errant. Il était
désormais sûr d'être le seul en mesure d’établir la suprématie des Jacobleus sur le Thévillois. C’était à lui de jouer, d’occuper le terrain, d'être présent sur tous les fronts à chaque instant.
Simplement, il fallait faire vite, présenter les choses habilement. Faire comprendre qu'il était le bras armé de la République, le prolongement naturel de la nouvelle majorité nationale,
provinciale, et cantonale. Dès maintenant, il devait être évident pour tous qu’il représentait la seule alternative possible pour engager résolument le Thévillois sur la voie de l’énergie, de la
modernité, de l’avenir.
L’occasion était trop belle pour la manquer et pour rien au monde il ne pouvait se permettre de la laisser
passer.
Rien, ni personne ne pourrait l’en empêcher.
J’ai dit
Plume Solidaire