Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 août 2010 4 12 /08 /août /2010 17:00

       

J’ai écrit ce texte entre 1995 et 2000. 

« L’année du crocodile, chronique divertissante d'une ville de banlieue » est une succession de tableaux de la vie à Thébeauville, caractérisée par l’abondance de ses populations d'origines étrangères et la diversité de  leurs cultures. 

La ville va connaître un bouleversement politique après la défaite des Rospoints et l’arrivée à la Mairie du Marquis de la Rupée. 

La chronique est construite autour de trois moments : avant, pendant et après la campagne électorale. 

L’ensemble de la période est vue à travers le regard de Victorem, Directeur des Fêtes et des Divertissements ; acteur et témoin de cette restauration bonapartiste locale. 

J’ai dit

       

LA TROISIEME MI TEMPS - 1

 L e Marquis attendit que les derniers flonflons des Ailes d'Espérances se turent, et que la ronde des convives tous aussi peu avares les uns que les autres de compliments sur la réussite de cette Soirée de la Victoire dont ils garderont le souvenir jusqu'à leur mise en bière, fut terminée. 

Camille SOUFFLETTE prit le temps de ranger soigneusement sa baguette dans sa boîte de voyage [1], et se présenta après le départ du dernier invité après maints tours et détours autour du futur homme d'Etat. 

Le nouveau Bourgmestre écouta - oreille distante, sourire figé - les propos componctieux et les rodomontades retraçant les grands moments de la brillante carrière musicale du chef d'harmonie locale - qui, en un mot comme en cent se tenait à sa disposition pour créer avec lui la Grande Batterie Philharmonique d'Espérances dont il rêvait depuis son premier cours de solfège, qui le comblerait à l'approche d'une retraite certaine, et dont il formulait le voeu qu'elle puisse honorer à l'avenir toutes les cérémonies officielles, réceptions protocolaires et réunions publiques ; promettant même deux hérauts annonçant la venue du Marquis dans les réunions de quartier à Babel Ouest, si l'occasion s'en faisait sentir. 

Puis il saisit la main du Marquis et la serra longuement, très longuement, en ondulations chaleureuses, puis en spasmes secs et affectueux -  lui tenant l'avant-bras de la main gauche.- ; affirmant que toute la famille avait voté pour lui comme un seul homme dès le premier tour ; qu'il était convaincu que l'Art avec un grand A doit servir ceux qui servent le peuple, et qui savent s'en servir à bon escient ; qu'un bon Bourgmestre comme lui avait tout à gagner de leur fructueuse collaboration ; et que pour finir il comptait sur lui pour que la musique retrouve enfin la place, seulement la place mais toute la place qu'elle avait perdue dans la vie thébeauviloise. 

Au vestiaire, l'Hôtesse en Chef venait de tendre la dernière canne et le dernier chapeau melon au Premier Echevin qui à présent quittait le Grand Pavillon de la Foire ; les équipes de nettoyage en bleus de travail, armées de balais de paille de riz tournoyaient déjà autour du bar dans une lente approche circulaire jusqu'au moment choisi pour fondre sur leur proie. 

Le Marquis voulait en finir avec les mondanités. Il héla son majordome, le somma d'aller réveiller son postillon, et le prévenir qu'il avance le cabriolet municipal pour qu'il puisse enfin regagner son hôtel particulier. 

Il s'élança d'un pas alerte à travers l'immense salle à l'architecture résolument polyvalente vers le vestiaire où l'accorte hôtesse anticipant la demande, rassembla avec empressement ses effets personnels, les plia avec attention et les lui remit dans un geste plein de grâce, sourire avenant à l'appui. Puis il se dirigea vers la sortie, et s'engouffra dans le cabriolet aux vitres teintée au noir de fumée de feu de camp. Nicéphore de FOUANCE referma la porte blindée à l'épreuve des cailloux, regagna sa cabine de pilotage et appuya sur le champignon. La lourde limousine s'ébranla, contourna le bâtiment par le midi, traversa le parc aux arbres séculaires et indifférents aux crissements des chenilles sur les graviers, et s'engagea sur le Cours des Colonies. 

C'est à cet instant précis que surgit une bande de jeunes en goguette qui chantaient des airs ruraux en faisant crépiter des pétards en rafales, et en gambillant de gauche et de droite autour d'un interminable Dragon rouge et jaune, féerique mille pattes qui serpentait au beau milieu de la chaussée. 

- Nicéphore arrête toi, que j'invite ces gens qui fêtent encore ma victoire à l'heure où Phaebus nous adresse ses premiers dards. Je voudrais partager le verre de la Fraternité avec eux, qui transportent ma gloire vers le Levant. 

- Mais Sire ils ne fêtent pas votre venue ; c'est le Nouvel  An chinois ! 

- Ne trouves-tu pas étrange Nicéphore, que des étrangers nous donnent du folklore quand nous n'en demandons pas ; et troublent la sérénité du sommeil du peuple à l'aube d'une ère nouvelle ? Poursuis notre route et fais-moi penser à déposer une Loi pour harmoniser ce nouvel an avec le nôtre. 

Mais un peu plus loin, au carrefour des boulevards de l'Europe et du Moyen Orient l'honorable équipage croisa un second attroupement qui se mit à faire la farandole autour du chariot républicain en frappant sur des bendirs tandis que les jeunes femmes criaient des youyous aigus et joyeux en faisant tourner leur ventre. 

- Arrête-toi Nicéphore, je voudrais à l'unisson chanter avec eux ce grand jour de Liberté. 

- Mais Sire ce sont des chants du Nord de l'Atlas ! 

- Ecoute la mélopée qui célèbre la République dans tous les dialectes du monde, Nicéphore. Dis-leur  qui je suis et que je veux les inviter à prendre avec moi le premier café-croissant-beurre de ma gouvernance. 

- Sire, ce sont des morisques immigrés, et ceux-là chantent en arabe !

- Qu'importe la Chine et l'Arabie pourvu qu'ils boivent notre vin et nous laissent nos femmes !

 

- Monseigneur, vous ne savez donc pas que c'est le Ramadan ; ils ne mangent qu'entre le coucher et le lever du soleil , et font la fête toute la nuit !

- Alors passons notre chemin, Nicéphore. C'est le monde à l'envers. Nous leur avons ouvert grand le bras généreux de l'Occident ; nous les élevons depuis des dizaines et des dizaines de lustres et des générations pour leur faire oublier leurs lointaines origines et leurs manières primitives. Les ingrats ! Qui leur rappellera les déserts où leurs mères les a mis bas sous la tente, les montagnes arides où un arpent de terre caillouteuse devait nourrir la tribu ; les vastes étendues d'herbes sèches où leurs maigres bêtes quêtaient leur pitance ? Qu'avons-nous de commun avec des gens qui s'interdisent en pareille circonstance de prendre un p'tit noir et du beurre avec un blanc au lever du jour ? Mais dis-moi un peu, comment tu sais tout cela toi, Nicéphore ? 

- Je ne les écoute pas Marquis, mais je les entends. Le bruit de leurs conversations entre dans mes oreilles et se grave dans ma mémoire sans que j'y sois pour quoi que ce soit. Je n'en pense rien, je n'ai rien à en dire, mais je sais. C'est tout.

 

- Alors change de tripot idiot ; il faut choisir ses fréquentations dans la vie ; ou tu finiras par préférer le thé à la menthe ou le saké au train où tu vas. Tu ne trouves pas qu'il était rigolo leur Dragon tout à l'heure ? Fais-moi penser à en faire mettre un dans le défilé de la Victoire l'an prochain, s'il te plaît.

 

- Vous ne trouvez pas que ce serait dommage de faire un Dragon alors que nous pourrions commencer par y mettre Gargantua, Gulliver, l'Ogre du Petit Poucet, Alice, le Père et la Mère Ubu, par exemples...

 

- Charité bien ordonnée commence par soi-même! C'est bien Nicéphore, tu as tout compris. Enlève le Dragon ; Alice fera l'affaire. Tu es un bon garçon , je te garde et que Dieu en fasse autant. Alice au pays des Merveilles, ça c'est un bon coup !



[1]  boîte de voyage (fly case) : magique parce que permettant un transport plus aisé, notamment par voies aérienne, routière et ferroviaire. Ce principe a été depuis, étendu à tous les instruments de l'orchestre à l'exception des orgues de Staline jugées dangereuses, des peu recommandables orgues de Barbarie, de l'orgue byzantin relevé sur l'obélisque de Théodosius (IVe siècle après J.-C.), et des orgues à tuyaux, principalement ceux qui sont installés dans un édifice religieux (église ou cathédrale par exemples). Il en est ainsi de l'orgue en  nid d'hirondelle construit pour l'abbaye d'Abondance en Savoie, et qui se trouve maintenant à l'église Notre-Dame de Valère, à Sion, Suisse, et de l'orgue du XVIIè siècle de la catedral nueva de Salamanque dont la décoration chargée ne peut souffrir un transport dont aucune Lloyd n'accepte au demeurant de couvrir le risque, quand bien même bon nombre des tuyaux du buffet ne sont-ils que décoratifs. Par contre, les harmoniums, les orgues positifs - une variété des orgues portatifs  du XVè siècle -, et certains orgues de chambre du XVIIIè siècle sont acceptés. 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Qui Suis-Je ?

  • : Plumeacide, écritures publiques et arts énergétiques internes chinois
  • : Plumeacide est une histoire de fraternité républicaine avec celles et ceux qui s'embrouillent avec les chiffres et les lettres. Au fil des années il est devenu aussi la mémoire visuelle de ma pratique des arts énergétiques internes.
  • Contact

Allo, y a quelqu'un là ?

 
Plumeacide poursuit doucement mais sûrement son voyage dans la blogosphère, et va vers sa deuxième millionième page visitée ! Mââgique !
 
  
2 objectifs et 10 règles pour l'écrivain public (vidéo 3'30)

 

 
 
Bonne visite et à bientôt
espère-je !
 
 

Pourquoi me bouge je ?

Le monde n'est pas
difficile à vivre à cause
de ceux qui font le mal,
mais à cause de ceux
qui regardent
et laissent faire

Albert Einstein

Le Film de l'immigration

  25839 71896

Un film de 40 minutes pour deux siècles d’immigration en France. 

 

Source :

Cité nationale de l'histoire de l'immigration