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11 août 2010 3 11 /08 /août /2010 17:00

 

 

 

LE SON DU PIPEAU AU FOND DU BOIS

  

 

L

 

e Marquis appliqua méthodiquement les recettes à succès de l’art électoral, les préceptes des grands dont il était le digne héritier, et les principes sur lesquels il s’appuyait en espérant qu’un jour ils finiraient bien par céder.

 

 

C'est ainsi que chaque matin il s’aimait à répéter sur un ton grandiloquent, apostrophant son miroir et brandissant le fin coupe-choux tranchant comme un couperet dont il se caressait les joues d’un geste ample et théâtral : « la pôolitique, comme disait TALLEYRAND, c’est une certaine façon d’agiter le peuple avant de s’en servir ! ». 

Son agenda se remplit de rendez-vous, de réunions, de consultations, de conférences, de réceptions à son domicile ; organisant minute par minute le compte à rebours qui le séparait des marches du Palais. 

Tout fut planifié merveilleusement jusqu’à la sauvegarde affectueuse des quelques heures hebdomadaires sacrées qu’il réservait à sa tendre épouse et à ses amours d’enfants en bas âge qui grandissent si vite qu’on n’a  pas le temps d’en profiter. 

Il s’adressa d’abord à la clientèle thébeauviloise du fonds de commerce jacobleu - aux 10% d’électeurs qui possédaient plus de la moitié du patrimoine local - et entonna les credo de l’initiative privée et de la liberté d’entreprise, emboucha les trompettes de la place du royaume dans le monde, de sa virile puissance de premier pays exportateur par habitant, fit entendre le chant des sirènes de la baisse des impôts et de la réduction des déficits publics, soutenus au rythme régulier du nioupistol fort et de la baisse des taux d’intérêt, nimbé au son des orgues mystiques d’une Europe conquérante accompagnant la marche nuptiale du travail pour tous. 

L’effet de levier fut immédiat. 

Les représentants consulaires s’enflammèrent. Les médecins, notaires, apothicaires, juristes et comptables ; les courtiers, les boursicoteurs, les patrons et les cadres si responsables rejoignirent ses rangs ; ainsi que les voyageurs de commerce qui connaissent si bien notre douce Hespérance profonde, les accédants à la propriété si préoccupés, les passionnés de sports mécaniques, de vitesse, de navigation côtière paisible, de voltige aérienne et de parachutage électoral, d’animaux de compagnies tellement fidèles, de voyages sous les tropiques, de césars et de trophées d’aventures, de liturgie, de Bible et de traversée de désert, les collectionneurs, turfistes et cruciverbistes du petit déjeuner, les amoureux de jeux de société et de danse de salon, les chasseurs, pêcheurs tant épris d’équilibres naturels, les peintres et bricoleurs du dimanche au génie ignoré, les experts et les spécialistes si pointus de tous acabits en pincèrent pour leur prophète. 

Quelques rombières chavirèrent pour le nouvel Adonis dont la voix ferme et timbrée les embarqua dans d’exotiques rêves d’alcôve. 

Parcourant les places et les rues, saluant chaleureusement les bouchers, les épiciers et les boulangers dans leurs échoppes, arpentant les marchés et embrassant les harengères embaumées d’iode, pénétrant même dans l’intérieur de quelques logements propres et bien pensants sous la bénédiction d’un Angélus de Millet cloué sur la tapisserie du salon dont le motif glorifiait la chasse à courre, assurant de sa présence généreuse un jamboree de la meute des louveteaux, déclamant ce qu'il appelait "son extrait préféré de Saint Zano De Gerberac" juché sur un tonneau de beaujolais au milieu du réfectoire de la maison de retraite :  

- « Ce sont les cadets de Casgogne,
Bretteurs et menteurs sans vergogne...
Perce-Bedaine et Casse-Trogne
Sont leurs sobriquets les plus doux
De gloire leur âme est ivrogne!.. »


 Et la salle de se lever comme un seul homme pour entendre le doyen chauffé au blanc donner la répartie par un chevrotant «  Il est des nôôtres, il a bu son verre comme les autres... » repris à la volée par l’assemblée toute émoustillée. Puis portant un dernier toast avant la route à l’adresse du Marquis : 

- Marquis, je suis couvert de croix... 

- Comme les cimetières...commenta d’un ton espiègle une tricoteuse campée près de la cheminée au fond de la salle, en se tournant vers sa voisine qui ronflait le nez blotti entre ses énormes seins. 

- Marquis !.. hurla le vieux sur un ton péremptoire au milieu du brouhaha général. Mon grand-père qui avait fait la Grande Guerre disait toujours avant de déposer son bulletin dans l’urne « les grands hommes c’est comme les abcès, ça finit toujours par percer ! » 

- Mouais...rumina la tricoteuse, et notre curé au catéchisme nous disait aussi qu’il y a deux manières d’être malheureux : c’est de désirer ce qu’on n’a pas et d’avoir ce qu’on désirait[1]. Tu t’en souviens Augustine ? 

L'oreille collée dans l'orifice du pavillon de son appareil de radiodiffusion sonore, le directeur de campagne du Marquis se délectait au goutte à goutte quotidien des saillies du Marquis et des contre-attaques de ses adversaires. Pour lui la politique c'était Capulet contre Montague, huguenots contre papistes, la Jave de Rutin contre la Jux de Sterdam, lucarne contre soupirail, bicyclette contre galipette. 

Le soir du verdict approchait ; il fallait déjà organiser les fêtes de la victoire. Il prit contact avec Les Ailes d'Espérance , un ensemble musical subventionné par le Conseil Communal. Le chef Camille Soufflette, qui connaissait son affaire en matière de vent, avait prudemment anticipé sur la situation en mettant en attente, puis en déclinant les autres offres. 

Une fois l'orphéon dans les tuyaux, le général de campagne réserva le Grand Pavillon de la Foire, commanda les lampions, les pétards, le feu d'artifice et les farces et attrapes. De sorte que, il n'aurait plus dans les prochains jours, qu'à dresser le plan de table, faire le menu et choisir les millésimes des vins de Bordeaux, avec Madame. 

- Il ne faut pas que j'oublie les cartes d'invitations se dit-il en saisissant la brassée de journaux quotidiens qui annonçaient la victoire du Marquis. 

Puis il entra sans frapper dans le bureau ovale, s'assit à califourchon sur le bras droit du divan où s'était enfoncé le Marquis, tira abondamment sur sa pipe d'écume, en montrant ostensiblement les titres de la liasse de journaux qu'il serrait dans ses bras.

Le Marquis se tourna alors vers celui qu'il considérait déjà comme son "dircab"[2] : 

- Que nous disent les carottes[3] ce matin, Romain ? 

Romain Débouat déposa les journaux en éventail sur le cuir de rhinocéros du bureau du Marquis en ne laissant apparaître que les unes. 

- Par les Roues du Saint Fiacre, voilà ta feuille de route Marquis ! 

- Ah le bel attelage de tête qu'on fait tous les deux ! s'exclama le Marquis en lisant les titres qui annonçaient sa victoire avec la même assurance que lorsqu'ils condamnent un innocent avant l'ouverture du procès. 

On abordait maintenant, le dernier virage avant la ligne droite. Encore quelques semaines et l'affaire était dans le sac. 

Suçant la roue des successeurs du Bourgmestre tout en les marquant à la culotte jusqu’au jour de son départ, le Marquis continuait de caracoler loin en tête des autres candidats. Et, histoire de planter une dernière banderille et de tuer un peu plus le taureau, il alla jusqu’à déclarer dans l'arène publique le lendemain du discours d'adieux que, comme lui : "sans son épouse il ne serait pas devenu le haut personnage qu’il est". 

Il termina son discours par le défi que tous attendaient, affirmant son impatience à connaître le baptême du feu dans les quartiers pauvres, ce qui à Thébeauville tenait lieu de bâton de maréchal à tout nouveau bourgmestre qui se fût montré capable de terrasser la bête immonde des banlieues en perpétuel danger d’être mises à feu et à sang. 

Il avait rassuré les thébeauvillois de sang, jusqu’aux coins et recoins des impasses de Babel Ouest.

Le sourire jeune et jovial des affiches collées par quelques responsables d'associations que le bourgmestre avait particulièrement chéris par le passé, avait fait le reste. 

Tout allait enfin revenir comme avant. Le joli visage changera tout et rien, semant le rêve et récoltant les suffrages.  

J’ai dit

Plume Solidaire



[1]   Pierre LOUYS (1870 -1925)

[2]  "dircab" : contraction de directeur de cabinet

[3]  carottes : prélèvements d'opinions effectués à travers différentes couches de population

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Un film de 40 minutes pour deux siècles d’immigration en France. 

 

Source :

Cité nationale de l'histoire de l'immigration