Ma femme est rentrée de son séjour chez ses parents à San Diego en Californie/USA.
Les nouvelles ne sont pas bonnes. La famille traverse des épreuves difficiles et nous vivons la fin d'une époque : les décès des deux tantes les plus âgées et la tristesse de mon beau père lui aussi très âgé ; les problèmes de santé pour certains, les conséquences de la crise économique que traversent les USA pour d'autres.
De plus mon beau père va voter McCain !!
Ma belle famille est d'origine vietnamienne. Je suis familiarisé avec la culture vietnamienne depuis bientôt 40 ans. Ayant séjourné au Vietnam pendant la guerre,
j'ai pu apprécier la réalité des épreuves que ma belle famille a traversées, percevoir les différences entre leur vie au Vietnam, les bouleversements issus de l'arrivée des communistes à Saigon,
la période de leur installation aux USA et la période actuelle.
J'ai compris et admis cette réalité que ma belle famille est à la culture asiatique et américaine, ce que ma propre famille est la culture de la droite
conservatrice française (Cf. Voyage en Sarkozie). Trois univers politiques, économiques, culturels totalement différents. Depuis 40 ans je suis à la croisée de ces trois civilisations dans
lesquelles je m'immerge avec bonheur dès lors que je les considère comme mes terrains d'aventure favoris de la découverte des hommes. Des terra incognita où s'exerce ma volonté de
savoir.
Comme ma propre famille est mon passeport pour la « Sarkozie », ma belle famille est l'une de mes entrées pour connaître les réalités de la vie des américains et leurs mentalités. Compréhension appuyée aussi sur une certaine connaissance livresque de l'histoire du Vietnam et de la civilisation chinoise, ainsi que de la vie politique des Etats-Unis.
Alors pourquoi Papa ira-t-il voter Mc Cain et que Maman n'ira pas voter ?
Telle est la question qui me harasse et l'angoisse qui me harcèle !
En mon beau-père s'entremêlent les cultures de trois nations et de quatre période de histoire qui se fondent dans un ensemble de représentations fortement ancrées : la colonisation française, la période de la présence américaine, celle du communisme, et celle de leur vie aux USA.
Le premier ressort c'est l'anticommunisme. Et l'anticommunisme des anciens vietnamiens du Sud est à la fois une expérience vécue de la guerre, puis des
communistes dans la période stalinienne du régime. Régime dont ils sont soufferts psychologiquement et physiquement de 1975 à 1982.
Ainsi pendant la guerre, lors de l'offensive du Têt de 1968, leur quartier a été le théâtre d'affrontements entre les communistes, et l'armée américano-sud
vietnamienne. Lorsque ma femme partait à l'école, les cadavres jonchaient les rues. Personnellement je me suis longtemps servi d'un magnétophone à bande qui portait une trace de balle reçue
pendant cette offensive générale des communistes sur le Sud Vietnam.
A partir de 1975, mon beau père en tant
que cadre de la police de l'ancien régime - responsable de la Police à l'aéroport de Saïgon, puis Commissaire de l'un des arrondissements de centre ville (l'équivalent du 8ème
arrondissement à Paris) a connu les camps de rééducation. Sa survie n'a tenue qu'à sa santé exceptionnelle et à une résistance psychologique à toute épreuve. Après les longues séances de
rééducation politique, il était contraint de déminer les champs de mines où sa vie était en danger à chaque instant. Il souffrait aussi de malnutrition. De son côté ma belle-mère a du fermer le
commerce qu'elle tenait dans le centre de Saïgon et, interdite de travail, s'est retrouvée sans revenu. Pour subsister elle élevait des poules, et se rendait régulièrement au camp où était détenu
mon beau-père pour lui apporter des denrées alimentaires. Pour obtenir l'autorisation de quitter le pays en 1982, ils ont du signer un acte juridique par lequel ils ont accepté de « louer
leur maison » à l'Etat.
Aux yeux de mon beau-père John McCain représente le héros de l'Amérique en guerre contre le communisme qui les a humiliés et a confisqué tous leurs biens. Pour lui comme pour de nombreux américains, MacCain est l'image vivante de la puissance victorieuse des Etats-Unis, le symbole du courage patriotique, la figure emblématique de la défense de la liberté contre l'oppression. C'est un héros positif et un témoin vivant de la propre histoire de mon beau-père auquel il s'identifie pleinement. Comme John McCain, il a souffert des communistes nord vietnamiens dans sa chair.
Une seconde série d'arguments viennent s'inscrire en opposition au choix de Barack Obama. Ils tiennent au fait qu'il est noir et d'origine
africaine.
Qu'une grande partie de l'Amérique blanche soit toujours raciste, en particulier à l'égard des noirs, c'est un lieu commun. Des progrès importants ont été réalisés
pour favoriser l'intégration des noirs dans la société américaine (Affirmative action). Mais comme le monde entier a pu le constater après le passage de l'ouragan Katrina en
Louisiane, beaucoup reste à faire en particulier dans les états du sud.
Limiter le racisme à l'attitude des blancs à l'égard des noirs serait naturellement réducteur. Ainsi en ce qui concerne les vietnamiens, le racisme vis-à-vis des
noirs vient de loin, de très loin.
Tout différencie la civilisation chinoise et vietnamienne qui en est issue - même si
le chinois est l'ennemi héréditaire du vietnamien -, des civilisations originaires d'Afrique. Et dans la réalité quotidienne c'est l'éducation et les comportements qui les opposent. Pour mon
beau-père et ma belle-mère les principes du confucianisme régissent leur conduite dans la vie : la discrétion et la politesse, la diginité, le respect de l'autorité et des hiérarchies
établies, le travail sont autant de normes profondément enracinées...Associées à une culture de la nuance et du discernement, elles les opposent aux noirs qu'ils jugent « primitifs et
brutaux » et qu'ils assimilent à une « race inférieure ».
Ces sentiments, dans l'histoire de mes beaux parents sont hélas, confortés par leur expérience des noirs...français pendant la guerre à la fin de la période coloniale (avant 1954). Les soldats noirs de l'armée française, appelés « Martiniquais », avaient en effet la sinistre réputation de pratiquer les viols systématiques dans les villages.
Voilà pourquoi Papa ira voter McCain. Quant à Maman elle n'ira pas voter car pour elle, voter ne sert à rien.
Quant à moi, peu me chaut que l'un des candidats soit un héros de la guerre du Vietnam et que l'autre soit blanc, jaune, noir ou vert. J'aime l'Amérique et ses américains. Mais si j'étais américain aujourd'hui, je ne voterais pour aucun de ces deux candidats. Autrement dit : je voterais "blanc" ! Ou je n'irai pas voter du tout...Je dirai peut-être plus tard pourquoi et quand j'en saurai plus sur Obama.
Pour en savoir plus sur John McCain, écouter l'émision des Matins d'Eté du 19 août sur France Culture (2ème partie de 1 h 11 à la fin - durée : 45 minutes) :
Les
républicains américains
Plume Solidaire
Photos Plume Solidaire : Mausolée de Ho Chi Minh (Hanoï) - Représentation de Confucius au Temple de la Littérature (Hanoï)