Ecrivain public appelant les pauvres, les miséreux et les damnés de la Terre
Annemarie c’est bien volontiers que je réponds à ta suggestion de nous tutoyer pour les commodités de la conversation.
Tu me demandais dans ton dernier mail quelles sont mes motivations d’écrivain public.
Alors j’irai directement au fond des choses sans complications superfétatoires et pontifiantes.
Voilà, il y a 11 ans que j’ai quitté le monde des vivants : le monde des salariés ; le monde de ceux pour qui gagner de l’argent en travaillant est une nécessité, et parfois une raison de vivre.
Nous savons tous qu’il y a une vie avant certes, mais aussi après le travail. C’est le
temps de la vacance pour le salarié (loisirs, congés) ; le temps de l’inactivité pour le retraité ; le temps de la souffrance
pour le chômeur de longue durée, le handicapé et le malade; de la peine pour le détenu ; le temps du portefeuille pour le rentier ; le moment de
l’éternité pour le défunt.
Et lorsque tu as beaucoup tenté pour retourner dans le monde des actifs et que tu as réalisé que tu ne satisfais pas aux critères d'adoption, vient le temps de l’accablement. Comment cela se peut-il ? Suivi d’une période de questionnement introspectif, méditatoire, deuillifère, et ambivalent : tu constates alors que tu es à la fois économiquement mort et biologiquement vivant.
Très vivant, et Annemarie, toi qui m'a confié que tu accouchas naguère d’une engeance
nombreuse, tu n’ignores pas que le propre de la vie c’est de s’inventer des raisons d’être.
En l’occurrence ailleurs et dans d’autres
endroits que dans le monde des actifs.
Tu te penches donc sur ce qui fait sens dans ton existence. Tu prends conscience que cette solitude est une apparence, que tu disposes d’une collection extraordinaire de chances : tu vis dans un pays riche, démocratique, en paix depuis soixante ans, jouissant d'un climat tempéré et stable, et tu as tout connu des 30 Glorieuses, de la société d’abondance et des libérations prométhéennes. Tu as une épouse qui travaille et se trouve à l’abri du chômage, tu sais qu’elle peut et accepte de t’entretenir, que vos enfants sont adultes, assurent votre descendance par de fiers rejetons, et réussissent dans leur parcours professionnel et dans leur vie privée.
A 55 ans, à l’âge où les DRH de 30 ans te savent vieux bien mieux que toi, où les actionnaires et les managers se débarrassent des postsoixantuitards, tu découvres en toi-même d’immenses espaces de liberté. Te sachant éclatant de santé et de joie de vivre, tu as décidé une fois pour toutes de te voir beau comme le glabre éphèbe, virile tel le musculeux bûcheron, agile en pensée comme un vol d’hirondelle, et léger au lit avec ta compagne comme le frêle papillon.
A l’aube d’une seconde vie tu regardes ta richesse et les leviers qui t’ont guidé. Tu te rends compte que tu as connu une enfance privilégiée (malgré ou en dépit de tes handicaps), reçu une éducation fondée sur des principes justes et solides qui te structurent, tu détiens un capital intellectuel (universitaire) qui te permet de comprendre, d’analyser les situations et de surmonter certains obstacles, que ton expérience de la vie et du travail ont révélé et conforté des qualités (humaines et morales), des capacités (mentales et physiques), des aptitudes (relationnelles…), t’ont permis d’acquérir des connaissances et une culture, des techniques, des méthodes, de développer des compétences (rédactionnelle par exemple)…
Et personne chère Annemarie, personne te dis-je, ne pourra jamais jeter aux orties ces outils, qui n’attendent qu’à devenir des ressources mises au service d’une autre finalité que celle du profit et de la rémunération par le travail.
Là où je me suis fait jeter, je prospère et sème.
Entends Annemarie le chant de l’espoir par delà la frontière qui nous sépare au sein de l’Espace Européen !
Dès lors se posait la question du comment, dans quels domaines valoriser ces ressources ?
Un jour j’ai découvert cette maxime, qui m’a beaucoup aidée à réfléchir, puis à choisir, décider et agir : « Quand je me considère je me désole, mais quand je me compare je me console » (Isaïe 12,7-10.13 - Psaume 31,1-2.5.7.10-11 - Galates 2,16.19-21 - Luc 7,36 à 8,3).
Le second jour j’ai compris que la philosophie c’est la recherche de la
sagesse. Et que la quête du sens est le but de ma vie. Je venais d'ouvrir la porte secrète.
Le troisième jour, en me regardant dans la glace, j’ai décidé qu’à la veille du jour de ma mort je devrai pouvoir me dire : « t’as été un mec bien, maintenant tu peux passer le karcher sur ta vie ». Je veux vraiment que mes enfants, mes petits enfants, ma famille élargie, mes amis et mes (ex et innombrables petites) amies, et tous mes voisins, disent ensemble en une ultime ovation : « ce mec a été un mec bien, il peut à présent passer le karcher sur sa vie ! » Sniff (mouchoir).
Le quatrième jour j’ai acquis la conviction que la Fraternité républicaine, de la trilogie qui orne les frontons de nos édifices publics, était la plus en danger. Elle méritait qu’un combat ardent la défendît. Tant sont fragilisés les soubassements de notre cohésion nationale par l’ultralibéralisme triomphant, les conservatismes arrogants, le communautarisme rampant, le totalitarisme sécuritaire envahissant, le racisme et les discriminations récurrentes.
Le cinquième, me vint la révélation que l’écriture, en une mission de service public , se devait au nom de l'intérêt général de venir en aide aux déshérités de notre Chère France.
Le sixième jour, par un prompt pronunciamiento, je pris le pouvoir dans mon association, et dispense désormais mais générosités pour le bonheur obligatoire de toutes et de tous autour de moi.
Car en écrivant les lettres d'autrui, j'écris les nouvelles pages de ma vie.
Il n'y a pas d'écrivain public sans parole publique.
Voilà Chère Annemarie, en un billet comment je résumerais le fabuleux destin et la vocation de Plume solidaire.
J’ai dit
Plume Solidaire
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