D’origine quimpéroise par mon père, j’ai successivement habité de 1963 – période du remembrement
agricole dévastateur des paysages – à Pontivy jusqu’au Bac en 1969. Puis de 1982 à 1992, j’ai exercé des responsabilités dans le secteur culturel à Lorient pendant la durée des mandats de
Député-maire, de l’actuel Ministre de la Défense.
Je suis profondément attaché à la Bretagne. A sa culture de la mer et à ses paysages.
De cette seconde période résidentielle, j’ai conservé une profonde défiance à l’égard des
prosélytes identitaires bretonnants – linguistiques, régionalistes, autonomistes, indépendantistes – et de la culture clanique (pan)celtique.
J’ai aussi étudié les fondamentaux de l’histoire des ultras de la culture bretonne ; et gardé
en particulier en mémoire la période de l’alliance entre les nationalistes et les nazis.
Anticipe-telle la fédération des frondes briarde, gersoise, limousine, bressane, du Massif des
Bauges au Médoc et de la haute Vallée d’Aure au marais audomarois…autour d’une même lutte : « Tous contre l’écotaxe » et « Tous contre la désertification
rurale » ?
Voici ci-dessous, en hommage à l’auteur de l’article du Monde qui suit,
mes notes personnelles rédigées dans les premiers jours de novembre, au tout début de la jacquerie bretonne; avant la manifestation de Quimper, et des contre manifestations successives organisées par les syndicats.
(…) « Lorsque d’aucuns affirment aujourd’hui que les « français font
sécession », c’est bien de cela qu’il s’agit. Ainsi la « révolte des Bonnets rouges », qui fait allusion à la révolte du papier timbré*, est-elle une résurgence du
rejet de l’Etat, de l’impôt, de la séparation d’avec la Nation dans son ensemble. L’affirmation violente du refus de l’application d’une directive de l’Union Européenne, l'écotaxe, exprime le refus d’une gouvernance nationale et européenne jugée lointaine et méprisante qui s’impose au "peuple" (breton), en
faisant référence à un épisode de l’histoire régionale et au symbole du Bonnet rouge. Bonnet rouge censé traduire le caractère identitaire breton.
Elle manifeste la révolte de la périphérie (bretonne) contre le centre (Paris), à
l'initative d'entreprises fragilisées par l’écotaxe et de salariés, de salariés licenciés, de minorités radicales et d'un parti d'extrême gauche, contre la majorité silencieuse et contre l’Etat
central. L’actuelle révolte est de nature poujadiste, assumée comme telle par certains, unissant dans une même lutte les acteurs autour de motifs d'ordre
économique, politique, et territorial. Ses thématiques protestataires recouvrent en partie les antiennes de la droite populiste telles qu’elles étaient portées il y a bientôt soixante ans par
Pierre Poujade puis Jean Marie Le Pen et le Front National : l’impôt, l’Etat centralisé (jacobin), les
corps intermédiaires (syndicats), la représentation démocratique non locale (parlementarisme), et l’Europe.
Derrière les Bonnets rouges, semble se profiler la volonté d'une rupture
régionale, qui fait penser aux vélléités d'indépendance, au risque de l’éclatement de certains états
nations européens, tel qu’il est réapparu sous des formes différentes en Catalogne et au Pays basque en Espagne, en Ecosse et en Irlande en Grande Bretagne, et en Flandre en
Belgique ?
Le drame est que dans notre pays, le consentement du politique à l’opinion du plus grand nombre, ou
sous la pression des minorités agissantes, s’est historiquement substitué à la foi des religions, tend à remplacer la loi, et règle les comportements : on parle de « gouvernement
par les sondages ». La Liberté d’expression que fait défaillir un jour la prise de libertés des opinions communautaires sous la pression d’une censure religieuse (affaire dite
des caricatures de Mohomet), fait résurgence le lendemain par l’expression d’une autre mystique radicale et raciste (inspirée des formes d’action propres à l’Opus Dei) en
s’opposant activement à la Loi elle-même (manifestation d’Angers contre la Loi dite du mariage pour tous); pourtant traduction de la volonté majoritaire.
La pression des opinions publiques sondées à grands frais, comme on l'a vu sous la présidence
Sarkozy, fait plier les gouvernements et reculer la puissance de l’Etat. Partant elle affaiblit la République.
La question de fond demeure toujours la même : est-ce la règle qui garde les hommes ou les
hommes qui gardent la règle ? Aujourd’hui, la force normative de la règle que représente l’intérêt national, l’intérêt public et l’intérêt général portés par les institutions de la cinquième
république, s’amenuise. Elle ne semble plus garder les hommes qui l’enfreignent, de « Génération pigeons » en jacquerie anti taxe. Tandis que dans le même temps, il devient de
plus en plus difficile pour les autorités politiques, du fait du non remplacement des effectifs de la fonction publique pour réduire la dette de l’Etat, d’exercer la fonction régalienne de
gardiennes de la règle (Police, Justice).
La démocratie est allée au bout d’elle-même. Sans se substituer pour autant à l’exigence populaire
du maintien de l’Etat providence qui, tout en se plaignant de la "désertification rurale", refuse l'impôt dans une aporie où la stratégie d'alliance temporaire des intérêts particuliers et
corporatistes surplombe l'intérêt général.
Ces jacqueries, sous leur forme éruptive, sont le contraire des Cahiers de
Doléances des Etats Généraux de 1789 qui réunissaient les trois ordres (Noblesse - Clergé - Tiers Etat), et réclamaient l'égalité fiscale.
A l’heure du numérique et de la mondialisation marchande, si le renoncement du Pouvoir central
devait succéder à la suspension de l'écotaxe, il prendrait la signification d'un nouveau triomphe posthume de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, contre ce qui reste de l’autorité de l’Etat
jacobin, et de son pouvoir de prélever l’impôt.
Fût-ce au nom d'une décision de l’Union Européenne. »
Plume Solidaire
*La Révolte du papier timbré est une
révolte antifiscale d’Ancien Régime, qui s’est produite dans l’Ouest de la France, sous le règne de Louis XIV (d’avril à septembre 1675). Elle est déclenchée par une hausse des taxes, dont celle sur le papier timbré, nécessaire pour
les actes authentiques.
La révolte eut plus d’ampleur en Basse-Bretagne, notamment en prenant
un tour antiseigneurial sous le nom spécifique de révolte des Bonnets rouges, car certains insurgés portaient des bonnets bleus ou rouges selon la région : ainsi dans
le centre-ouest de la Bretagne et notamment dans le Poher où la révolte fut plus violente, le bonnet porté par les insurgés était de couleur
rouge, tandis qu'il était bleu dans le Pays Bigouden (Source wikipedia)
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Bonnets rouges : des dérives autonomistes derrière les revendications sociales
LE
MONDE | 13.11.2013 à 19h45 • Mis à jour le 15.11.2013 à 10h55 |Françoise Morvan (Ecrivaine, traductrice et spécialiste du folklore breton)
Des Bretons affublés de bonnets rouges
défilant sous une marée de drapeaux noir et blanc : l'image a fait le tour de la planète.
Les ouvriers bretons licenciés défilent à l'appel des patrons bretons sous un même drapeau, le drapeau breton. Le drapeau breton montre que les Bretons sont tous unis pour mener le
même combat séculaire : les bons Bretons sont en révolte contre la France. Ils veulent leur liberté, la «
liberté armorique » revendiquée au
XVIIe siècle
lors de la révolte dite des « bonnets rouges » (qui, en fait, étaient aussi bien bleus).
Pour les patrons de l'agroalimentaire qui appellent à manifester,
la liberté a un sens bien précis. Pour les élus à l'origine de cette énorme opération de propagande, il a un sens non moins précis. Ce qui les rassemble se résume en un mot : autonomie.
Les premiers sont fédérés en un lobby qui réclame le droit d'en finir avec la République et ses lois contraignantes : c'est ce qui s'appelle en attendant
mieux « droit à l'expérimentation ». Les seconds appuient ce projet en vue de faire de la Bretagne une nation tenant sa
place dans une Europe des peuples et ethnies solidaires.
A la tête des premiers, Alain Glon, ex-président de l'entreprise Glon-Sanders et président de l'Institut de Locarn.
A la tête des seconds, Christian Troadec, maire de Carhaix, fondateur du parti autonomiste Nous te ferons Bretagne, soutenu par le Parti breton, indépendantiste, relais de l'idéologie de
Locarn.
UNE STRATÉGIE DE
L'ENTRISME
Electoralement, ils ne représentent rien (aux élections régionales, la liste de Troadec n'a pas obtenu 5 % des
voix). Politiquement, ils mènent le jeu face à un pouvoir incapable de leur tenir tête, faute d'avoir su faire pièce, dès l'origine, à une stratégie de l'entrisme menée depuis tous les points d'accès
possible : gauche ou droite, écologie ou développement sans contrôle de l'agroalimentaire, appels aux droits de l'homme pour défendre l'homme
breton exclusivement, apologie de la Résistance bretonne et assimilation de la Résistance au combat breton mené par les nationalistes alliés aux nazis, et, pour finir, appel des ouvriers à défiler au nom de la Bretagne derrière les patrons qui les licencient.
Les ouvriers défilent : la démonstration est faite, ils sont bretons. Leur identité les amène à se révolter : ils se mettent des bonnets rouges sur la tête. Ils se révoltent au nom de leur nation niée, le drapeau le prouve : ils brandissent des drapeaux
noir et blanc.
Personne ne rappelle que le sinistre drapeau noir et blanc a été inventé par un druide raciste comme symbole
antirépublicain, à partir d'hermines représentant les évêchés de la Bretagne féodale, la Bretagne d'avant la Révolution française tant honnie
par les autonomistes dont il était l'un des chefs. Personne ne rappelle que la sanglante jacquerie dite des « bonnets rouges » était dirigée contre la noblesse et le clergé bretons autant et plus
que contre les fermiers du roi.
Et surtout, personne ne se demande qui sont ces patrons qui sonnent le tocsin contre l'écotaxe et distribuent des
bonnets au peuple pour l'enrôler dans une croisade identitaire. Produit en Bretagne (300 entreprises, un phare bleu sur fond jaune garantissant la qualité du « made in Breizh »), bon label, bons
patrons – ils font plier Paris : c'est une victoire.
Seuls sont interrogés à ce sujet les autonomistes, Alain Glon, pour l'Institut de Locarn, Jakez Bernard, pour
Produit en Bretagne, Romain Pasquier, Ronan Le Coadic, Christian Troadec… La « misère armorique » fait le beurre du séparatisme.
LA PREMIÈRE D'UNE LONGUE
SÉRIE
Présentée comme née spontanément d'une révolte atavique des Bretons contre l'impôt, écotaxe ou gabelle, cette
opération médiatique a été soigneusement orchestrée et d'ailleurs présentée dès l'origine comme la première d'une longue série. On ne peut la comprendre qu'en la prenant pour ce qu'elle est, à savoir une phase particulièrement voyante de la
réalisation du projet politique poursuivi par le lobby patronal breton.
Voilà quelques années, tenter d'expliquer le rôle du Club des Trente ou de l'Institut de Locarn dans la dérive identitaire à laquelle on assiste en Bretagne vous exposait à vous faire accuser de conspirationnisme. L'un des premiers
soutiens de l'Institut, Patrick Le Lay, jurait ne pas le connaître. De même, des responsables de Produit en Bretagne assuraient n'avoir aucun lien avec Locarn.
Les statuts de ces associations ont pourtant été déposés à la sous-préfecture de Guingamp : l'association Institut
de Locarn, culture et stratégies internationales a été déclarée le 5 avril 1991 ; Produit en Bretagne le 9 février 1995, bizarrement, à
première vue, précédée, le 2 juin 1993, par une Association Coudenhove-Kalergi-Aristide-Briand ayant, elle aussi, son siège à l'Institut de Locarn.
Le comte de Coudenhove-Kalergi est le fondateur de l'Union paneuropéenne, dont les principes fondamentaux
peuvent être lus en ligne : « L'Union paneuropéenne reconnaît l'autodétermination des peuples et le droit des groupes ethniques au
développement culturel, économique et politique. » « Le christianisme est l'âme de l'Europe. Notre engagement est marqué par la conception chrétienne des droits de l'homme et des
principes d'un véritable ordre juridique. »
L'ÉTAT-NATION DOIT
DISPARAÎTRE
Le projet de l'Institut de Locarn a été
exposé par son fondateur, Joseph Le Bihan, en 1993, sous le titre « Genèse de l'Europe unifiée dans le nouveau monde du
XXIe siècle » : la France n'a plus
d'avenir ; l'Etat-nation doit disparaître ; il faut liquider l'éducation nationale, les
services publics et surtout les services culturels, en finir avec l'héritage de la
Révolution française, syndicalisme, laïcité, et autre boulets : « Nous allons réintégrer cette Europe de la civilisation et de la
propreté qui existe déjà en Allemagne, en Suisse et dans certains pays nordiques.
»
Le plus beau jour de l'histoire de l'Institut, d'après son fondateur, a été, en juin 2006, le jour où le président
du conseil régional socialiste, Jean-Yves Le Drian, est venu y présenter son projet pour la région. Depuis, la messe est dite et la collusion
sans mystère. Nul espoir que la gauche s'oppose au projet obscurantiste de Locarn – dont les Bretons ne voudraient pourtant pas s'ils étaient consultés.
Le discours ethniciste des élus socialistes qui ont fait entrer les autonomistes de l'UDB au conseil régional s'inscrit dans la droite ligne de celui des patrons bretons et la labellisation de la Bretagne sur base
identitaire semble irrémédiable.
Alain Glon, lors de l'université d'été de Locarn, déclarait : « Notre problème, c'est la France
» et donnait pour modèle l'action des Flamands susceptible de faire éclater la Belgique en ethnorégions.
C'est dans ce contexte qu'Alain Glon et Jakez Bernard, encore eux, ont lancé cette année à Pontivy «
l'appel breton du 18 juin » pour une « gouvernance économique régionale » et « le droit à l'expérimentation ». Fondant par la même occasion
un nouveau lobby, le Comité de convergence des intérêts bretons (CCIB) avec pour mot d'ordre « Décider, travailler et vivre au pays » (le mot d'ordre de Troadec ralliant les bonnets rouges), ils ont
clamé : « L'heure des méthodes douces est révolue. Pour obtenir des réponses concrètes et immédiates, il va falloir livrer bataille. » La première bataille à livrer était la lutte contre
l'écotaxe.
L'écotaxe a bien servi. Sous bonnet d'acrylique fabriqué en Ecosse, les bons Bretons sont venus fournir les troupes. On les faisait danser en chapeaux ronds, ils défileront en bonnets rouges. Le lobby
breton a gagné : la guerre ne fait que commencer.
Françoise Morvan (Ecrivaine, traductrice et spécialiste du folklore breton)
Françoise
Morvan est l'auteure
du « Monde comme si –Nationalisme et dérive identitaire en Bretagne » (Actes Sud/Babel, 2005)