Visuel Plume Solidaire - Fresque de la rue Denoyez (20ème) - octobre 2009
Pendant les vacances notre Président de la République n’a pas oublié de faire ces devoirs d’école. Il s’est
attaché avec soin à poursuivre ses petits travaux de découpages des différentes catégories qui peuplent notre territoire national et qui à ses yeux n’y ont pas leur
place.
Depuis trois ans il a découpé et séparé avec constance : la France du mérite de la France de ceux qui
« profitent de l’aide sociale », les hommes politiques de « l’ouverture à gauche » des sectaires de l’opposition permanente, les collectivités territoriales à garder de celles
qui doivent être supprimées du "millefeuille", les bons patrons de presse ou les bons PDG et animateurs de télévision de ceux qui doivent partir, l’ouvrier licencié qui a durement
travailler du fonctionnaire protégé et rémunéré par l’impôt, les français pleins de bon sens qui savent déjà tout des intellectuels et des chercheurs, les élèves sages des élèves dont les
familles seront privées d'allocations familiales pour absentéisme scolaire, les gens normaux des fous à enfermer, les immigrés à choisir des sans-papiers à expulser, (les « bien
intégrés » de ceux qui « ne veulent pas s’intégrer », les femmes habillées convenablement des femmes qui se dissimulent sous le voile*, les hommes qui respectent les femmes des
barbares qui pratiquent l’excision ; les monogames des polygames), le français depuis plus de deux ans qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie
de la personne qui possède la nationalité française de depuis moins de deux ans qui serait déchue
de la nationalité française au motif qu'elle aurait volontairement porté atteinte à
la vie d’un fonctionnaire de police, d’un militaire de la gendarmerie.
Cet été il a vu encore plus large en découpant une population toute entière en fonction d’une lointaine
origine du nord-ouest de l'Inde. Tsiganes, Manouches, Gitans, Sintis, Yéniches, Roms ; nomades ou sédentaires circulant librement au sein de l’espace Schengen; français depuis plusieurs
générations, immigrés ou étrangers. Tous jetés dans un grand sac : celui des voleurs de poules ou à la tire, des professionnels de la mendicité, des exclus indésirables et toujours venus
d’ailleurs…
Nous avons connu la vente des immeubles à la découpe.
Sous la présidence Sarkozy c’est la France à la découpe : la désignation à la vindicte populaire de
boucs émissaires – relire « La violence et le sacré » de René Girard
-, la volonté d’instaurer encore de nouvelles ruptures, pour générer une division profonde dans la volonté de vivre ensemble en montant des caricatures de catégories sociales les unes contre les
autres. Celles qui se croient menacées contre celles qui incarnent les fantasmes. Fantasme de la peur du devenir pauvre dans un monde instable et globalisé, fantasme du pauvre dangereux, fantasme
du malade qui crée l’angoisse, fantasme de l’étranger et de la peur de l’inconnu.
A la fin de son mandat et ses exercices de découpages, le Président pourra montrer enfin le
profil unique et idéal qu’attendent ceux qui adhèrent et participent à ce jeu morbide. Le profil du Vrai Français qu’il aime tant, auquel il s’identifie sans réserve, et qui lui ressemble
tant : lui-même.
Comme si le découpage des populations consistait à éplucher les peaux inconsommables et superficielles de
l’identité française pour atteindre l’épure parfaite du déjà connu et de l’identifiable. Au demeurant parfaitement rassurant pour ses affidés.
La France sarkozienne pourra-t-elle s’arrêter là en se reconnaissant enfin dans le miroir qui reflète
l’image qu’elle a dessinée d’elle-même ? Rien n’est moins sûr, car c’est oublier que ce genre de découpage crée l’accoutumance à l’exclusion pour les uns, et l’addiction à la haine pour
d’autres.
Aujourd'hui chacun est désormais en situation de se poser la question : "Ne vais-je pas à mon tour faire partie d'une
nouvelle tranche de français découpée par le Président de la République ?"
Alors j’attends que vienne le jour où dans le calme d’un premier tour d’élection présidentielle, une
majorité de français va à son tour découper la France rance de la France accueillante, la France des haines mutiques de la France des actes généreux, la France protégée des fils à Papa de la
France de l’égalité réelle des chances, la France de la bureaucratie électronique de la France serviable au quotidien, la France de ceux qui calculent pour maximiser leurs avantages de la France
qui partage, la France qui ignore (méprise) de la France qui considère, la France qui sait déjà tout de la France qui cherche à comprendre, la France des hypocrites et des manipulateurs de la
France intègre, la France rigide de la France avenante, la France qui se distraie de la France des soucis, la France myope de la France qui voit.
Telles sont les pensées que m’a inspiré l’article qui suit paru dans Le Monde du 21 août.
J’ai dit
Plume Solidaire
* Je suis favorable à l’interdiction du port du voile islamique en France, non pour des raisons
d’idéologie antimusulmane exploitée par notre Président, mais par souci de défense de la laïcité et des valeurs républicaines.
Quand une philosophe coupée des réalités réplique à un politique dénué de pensée
| 21.08.10 | 13h30 • Mis à
jour le 23.08.10 | 11h32
Aline Louangvannasy, professeure de philosophie
Si Socrate vivait à notre époque, il serait certainement à nouveau passé en procès, tant la haine d'une
certaine opinion publique est virulente à l'égard de l'exercice de la pensée. Nous pouvons d'ailleurs caractériser notre époque comme celle d'un nouvel obscurantisme, tellement la haine de
l'autre semble avoir aveuglé une partie de notre classe politique.
Point de vue Parlons de répartition avant de
décroissance
Dans sa tribune publiée dans Le Monde daté du mercredi 18 août (intitulée "Insécurité :
attention aux raccourcis faciles"), le député UMP Bernard Debré fustige, parmi d'autres,
les "philosophes coupés des réalités".
S'il existe de bons et de mauvais philosophes, comme il existe de bons et de mauvais hommes politiques,
tous ont vocation à penser le monde dans lequel nous vivons. Ce monde réel est construit de mots, de concepts, de valeurs, de discours et de tribunes dans les journaux qui façonnent le monde
matériel.
Or la réalité que nous propose M. Debré, en bon élève appliqué, est une réalité apocalyptique digne de
films d'action de série B, mis en scène par des hommes politiques irresponsables qui donnent, depuis quelques semaines, dans la surenchère médiatique.
Le monde de M. Debré et de ses amis est donc un monde à feu et à sang dont il faut éradiquer le mal. En
bon sophiste, M. Debré nous invite à ne pas tout confondre, à manier la langue avec précaution. Or pour nos gouvernants, dire, c'est faire : il suffit d'affirmer une chose pour considérer qu'elle
a été exécutée. Inviter à la modération, c'est donc se poser comme modéré.
Banalité du mal
Ce qui n'empêche pas M. Debré, tout au long de son exposé, d'insister très lourdement et très
pédagogiquement sur le triptyque Etranger-Religion-Délinquance. Car, écrit-il, nous ne "saurions nier les faits". La France est un pays d'immigration dans lequel "l'assimilation est
en panne". La seule utilisation du mot "assimilation", en lieu et place du mot "intégration", nécessiterait un commentaire.
Pour répondre à M. Debré, ce dont nous devons avoir peur, ce n'est pas de la réalité de l'insécurité,
mais de la réalité de la bêtise. Car, lorsqu'on lit, entre autres préjugés, dans cette tribune qui nous invite à la nuance, que "notre école doit former tous les Français et pas uniquement
ceux dont les familles viennent de l'étranger", c'est bien de pure bêtise dont il s'agit, retour d'un refoulé que M. Debré ne peut contenir.
Loin d'être anodine, la bêtise à laquelle nous devons faire face est haineuse, dangereuse, pleine de
bonne conscience dénuée de tout humanisme, une bêtise qui s'exonère du fait de penser les conséquences humaines, bien réelles, de ses affirmations.
Cette absence de pensée, celle-là même qu'Hannah Arendt décrivait sous le nom de "banalité du mal" dans son compte rendu du procès du
haut dignitaire nazi Adolf Eichmann.
Aline Louangvannasy, professeure de philosophie
Article paru dans l'édition du 22.08.10