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24 février 2011 4 24 /02 /février /2011 18:00

 

 

http://www.britac.ac.uk/cmsfiles/assets/9785.jpg

 

Martha Nussbaum, Not for Profit. Why Democracy Needs the Humanities, Princeton &

Oxford, Princeton University Press, 2010. 178 p., 23$.

 

 

http://press.princeton.edu/images/k9112.gif Note de lecture de l’article de Solange CHAVEL publié dans laviedesidees.fr, le 14 février 2011: "L'utilité sociale des humanités"

 

 

La thèse de Nussbaum, est que l’enseignement et la recherche en art et humanités constituent un des éléments de la réponse à la crise.

 

 

L’ouvrage de Nussbaum est un plaidoyer pour une réforme profonde et exigeante de la manière dont celles-ci sont enseignées et pratiquées.

 

 

 

.

 

Nussbaum le souligne, la crise et les débats suscités sont mondiaux : si « Not for Profit » se concentre essentiellement sur la situation des États-Unis et de l’Inde, ses réflexions sont également particulièrement bienvenues dans le contexte français.

 

À travers les secousses et restructurations à marche forcée provoquées en Europe par les différentes « initiatives d’excellence » déclinées du Royaume-Uni à la France en passant par l’Allemagne, l’enjeu pour les humanités est de réussir à faire émerger les questions de fond au-delà des impératifs angoissés de performance : quelle

éducation et quelle recherche sont pertinentes pour le XXIe siècle ? Qui voulons-nous former et à quoi ? Quelles qualités d’esprit voulons-nous cultiver ? Quel type de citoyen souhaitons-nous pour maintenir des démocraties ouvertes et des espaces publics vivants ?

 

Pressées par un impératif d’utilité et de recherche anxieuse de croissance, les défenseurs des humanités ont beaucoup mieux à faire que de refuser la question en bloc et de s’enfermer dans une posture défensive : ils peuvent au contraire saisir l’occasion pour redéfinir et élargir ce qu’on entend par croissance, utilité et progrès social. Certes, pour se montrer à la hauteur de l’enjeu, la recherche et l’enseignement des humanités doivent aussi se transformer, en passant d’une histoire centrée sur l’État-nation à une histoire véritablement mondiale, en enseignant une conscience des interdépendances économiques qui lient les pays, en développant davantage l’enseignement des langues, en promouvant un esprit critique par l’enseignement socratique.


 

 

La compétition internationale impose ses exigences et les États ne peuvent maintenir leur rang qu’en formant des qualités d’innovation technologique et de profit économique. De l’autre côté, le modèle qui a les faveurs de Nussbaum est celui d’une éducation tournée vers la démocratie (« education for democracy »).

 

L’argument consiste simplement à souligner qu’une éducation exclusivement tournée vers le profit sape lentement mais sûrement les conditions qui permettent aux sociétés démocratiques de fonctionner.

 

Une démocratie vivante demande à ses citoyens participation, information, indépendance d’esprit : autant de qualités qui ne recoupent que partiellement les exigences de l’éducation tournée vers le profit, et qui doivent être cultivées directement par l’éducation primaire, secondaire et supérieure.

 

Si les valeurs démocratiques nous tiennent à cœur, alors il nous faut former non seulement de bons techniciens, mais également des hommes et des femmes dotées des capacités critiques et empathiques nécessaires pour bien remplir leur rôle de citoyen. La diversité culturelle croissante et la mondialisation ne font qu’ajouter à la liste de ces exigences : il faut des citoyens capables de comprendre des situations et des problèmes interprétés dans un cadre moral et culturel différent. Or, et c’est la dernière étape de l’argumentation de Nussbaum, ces capacités nécessaires d’esprit critique, d’ouverture empathique et de compréhension de la diversité des cultures sont développées essentiellement par les arts et les humanités, ou plutôt par une certaine pratique des arts et des humanités.

 

- Par « l’éducation tournée vers la démocratie », il faut y voir non pas la seule transmission de contenus caractéristiques d’une culture, mais la pratique de la réflexion.

 

- Si les arts et les humanités sont une partie de la réponse au maintien d’une société démocratique, c’est qu’ils répondent à la question de la formation des émotions démocratiques. La question qui la guide est donc : comment peut-on éduquer les individus de sorte qu’ils recherchent non pas la domination et l’exclusion, mais l’égalité et le respect mutuel ?

 

- Quel est le type d’émotion qu’il convient de cultiver pour qu’une société fonctionne sur un principe non pas hiérarchique mais égalitaire ?

 

- L’idée  de Huntington parlant d’un « choc des civilisations, n’est pas tant externe aux civilisations qu’interne : s’il y a un « clash », il est dedans, « within », dans l’individu et dans les démocraties.

 

- L’agressivité est une forme de gestion de la vulnérabilité. L’éducation doit donc s’efforcer de donner aux étudiants et aux élèves les moyens de résoudre ce choc qui oppose tendances hiérarchiques à l’agression et à l’exclusion d’une part, et tendances égalitaires et empathiques de l’autre.

 

- Nussbaum s’interroge sur le type de capacités qu’il faut développer pour que les individus soient capables de réfléchir adéquatement aux problèmes normatifs complexes qui se posent aux citoyens des démocraties contemporaines. Elle souligne que l’imagination, comme capacité de se mettre à la place d’autrui, est essentielle dans des sociétés multiculturelles : la capacité à imaginer le sort d’autrui est fondamentale pour qui est en position de voter ou de décider sur autrui. C’est d’autant plus important dans un contexte cosmopolitique.

 

- Les questions normatives sont réglées non pas seulement par le recours à l’argument, mais par un certain type d’attention aux situations, qui impose de se mettre à la place de l’autre.

 

- On pourrait bien sûr rétorquer que l’art a fait la preuve de sa capacité à servir également des politiques de fermeture et d’identité, et que les romans, par exemple, peuvent aussi bien renforcer les stéréotypes que les faire sauter. C’est donc une conception particulière de la pratique des arts et des humanités que Nussbaum défend, qui y voit des instruments d’ouverture et de connaissance. Comment être sûr que ces instruments auront de l’effet ? Pas de certitude en la matière.

 

Plus modestement, on peut simplement constater que «  la connaissance n’est pas la garantie d’un bon comportement, mais l’ignorance est la garantie presque certaine d’un mauvais comportement »

 

- Nussbaum est très favorable à une idée de pédagogie active, qui s’inscrit dans la lignée de Rousseau, Pestalozzi, Dewey ou encore Rabindranath Tagore. Toutes ces figures, et quelques autres, sont ainsi rapidement évoquées comme autant d’exemples d’une pédagogie socratique qu’il faudrait adapter au XXIe siècle. Ils ont également en commun de considérer l’éducation des humanités en continuité avec l’éducation pratique : Rousseau et Dewey sont peut-être les exemples les plus frappants d’une éducation dans laquelle la réflexion naît de la pratique et de l’effort pour résoudre des tâches quotidiennes.

 

- On peut souligner un aspect étonnant pour un lecteur français, qui tient au rôle que jouent les acteurs privés et publics dans la défense des humanités. Nussbaum commence son ouvrage en soulignant le contexte général de pression sur les enseignements d’arts et d’humanités : ces derniers doivent résister à une injonction toujours plus pressante d’utilité et d’efficacité comprises en termes étroitement économiques. Or, Nussbaum souligne qu’aux États-Unis, les pressions contre les enseignements d’humanités viennent des politiques et des administrateurs, alors que les meilleurs soutiens de ces programmes sont de riches anciens élèves, donc des financeurs privés. Autrement dit, une des défenses efficaces des « arts libéraux » est le financement privé, contre les directives politiques.

 

- La situation n’est évidemment pas transposable, parce qu’elle tient à au moins deux traits singulier du système américain : d’abord, les premières années d’université exigent des étudiants qu’ils suivent un large ensemble de disciplines, dont des humanités. Ensuite, la pratique de la philanthropie et du financement privé en général est une différence culturelle souvent soulignée entre États-Unis et Europe.

 

Tout en tenant à des caractéristiques singulières du système étasunien, l’exemple offre cependant une piste intéressante pour penser un modèle de cercle vertueux entre l’enseignement des arts et humanités et la société.

 

- Un deuxième élément de débat est la manière dont Nussbaum propose d’analyser cette pression générale à une « utilité » de l’éducation et de la formation. En particulier, les quelques paragraphes consacrés à l’analyse des récentes réformes du système de recherche en Grande-Bretagne  sont d’autant plus intéressants pour le lecteur français que l’enseignement supérieur et la recherche français sont précisément pris, en ce moment même, dans la vague des Initiatives d’excellence.

 

Nussbaum est sans concession pour une réforme qui met les humanités dans un cadre qui leur est contraire : en particulier, elle souligne que le système de financement de la recherche par projets, s’il fonctionne en partie pour les disciplines scientifiques, n’a pas grand sens pour les humanités.

 

Elle remarque également combien cette réforme est menée dans un état d’esprit généralement suspicieux des arts et humanités, qui y voit d’abord des fioritures inutiles.

 

Nussbaum critique ainsi l’initiative d’excellence anglaise et son obsession pour l’utilité économique : « “impact” est le mot à la mode, et par “impact”, le gouvernement entend essentiellement impact économique ».

 

Elle remarque combien les humanités se trouvent acculées à une position défensive, où elles doivent en permanence justifier de leur existence devant le gouvernement.

 

Loin de refuser en bloc la question de l’utilité de l’éducation, Nussbaum la pose, mais propose d’y répondre différemment. Il faut réussir à faire passer l’idée que « l’utilité » de l’éducation ne se réduit pas à la croissance économique, mais au type de société que l’on contribue à maintenir ce faisant.

 

C’est la transposition à l’éducation du geste que Nussbaum a fait plus largement à propos des modèles de la croissance : Nussbaum est connue pour avoir participé, avec Amartya Sen notamment, à la promotion d’un modèle de la croissance plus complexe et complet que la simple mesure du PNB. Elle ne refusait pas la question de la mesure du progrès, mais les critères qui servaient à l’évaluer, troquant le PNB pour un certain nombre de « capabilités » fondamentales – santé, alphabétisation, etc. De même, elle ne rougit pas devant la question de l’utilité de l’éducation, mais apporte une réponse plus large que l’économie.

 

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