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13 août 2010 5 13 /08 /août /2010 20:22

 

 

LA TROISIEME MI TEMPS - 2

 

A l'approche du Stade d'Hèspérances une clameur matutinale atteignit de plein fouet la fine ouïe du Marquis qui restait sur sa faim de rencontres noctambules. 

- De qui sont ces sons Nicéphore ?

Nicéphore donna un léger coup de coude dans la cale de bois de rose - une fâcheuse erreur de choix dans les matériaux avait dit le Marquis au concessionnaire automobile - qui maintient le vitrail de sa portière hermétiquement clos. La pièce de bois tourna sur son axe central comme une hélice et épousa en juste noce la gaine horizontale dudit vitrail qui, quant à lui se contenta de glisser en cascade successive dans la glissière précitée présentée.

 - J'y distingue assez clairement de la corne de brume, Sir.

- Qu'entends-tu d'autre en clair dans la brume, Cornegidouille ?

- C'est du clairon en clair que j'entends Cornegidouille, dans la brume, Marquis.

- C'est le Mondial des Vents... Nicéphore! Approche pour voir.

- A gauche, ou à droite Marquis, c'est comme vous voulez.

- Apprends que c'est une question qu'on ne pose jamais à un homme politique. Il y a des mots tabous Nicéphore. C'est selon.

- Alors on tournera à droite, mais il faudra monter un raidillon jusqu'à la Maison des Syndicats.

- Et après ?

- On descend en pente douce jusqu'à la croisée des chemins. Tranquille.

- Et par l'itinéraire de gauche ?

-  Je ne l'ai jamais emprunté Marquis.

- Dieu t'en a préservé , j'imagine. Mais que t'en t'a-t-on dit ?

- Ce que tante en a dit qui le fait chaque jour en vélocipède, c'est que ça descend jusqu'à la Piscine Municipale et qu'en prenant au bon moment le virage à droite qui évite d'aller droit dans le mur, avec un bon coup de jarret en bas de la petite côte, on la remonte en ramant d'un coup sec jusqu'à la croisée des deux chemins.

- Combien de temps faut-il par la droite et par la gauche ?

- Par la gauche, je suppose que ça doit être un peu plus long mais c'est plus joli et on ne voit pas le temps passer.

- Je ne vois pas les différences entre les deux itinéraires, Nicéphore.

- Mais il n'y en pas Marquis, puisque dans tous les cas de figure on descend jusqu'au fond de l'Impasse du Stade. Seulement, dans un cas la route est monotone et on s'ennuie ; dans l'autre c'est l'aventure dans un paysage de rêve, on s'amuse, et tout le monde est content !

- Alors fais attention à ta figure comme tu dis, et à ce que tu vas dire. Et pourquoi t'as jamais pris l'itinéraire de gauche, Nicéphore, hein ?

- Ben, Monsieur le Marquis, si vous croyez que j'ai le temps de m'amuser moi !

- Vas par la droite. Il n'y a pas de vent favorable à celui qui ne sait où il va. Sénèque.

- Oui Marquis c'est net, acquiesça l'automédon. 

Pendant que nos deux compères devisaient ainsi, le Grand Char d'Apollon avait commencé à s'élever au-dessus de l'horizon, baignant dans une lumière pourpre les vallons nimbés de fraîche rosée, les tendres prairies qui s'étendaient à perte de vue autour de Thébeauville, et les champs où perçaient déjà à travers les riches limons, les fruits des prochaines récoltes.  

Nicéphore descendit les marches de la limousine et souffla les bougies des photophores de la calandre avant, en se rappelant avec nostalgie l'heureux temps où il exerçait le noble métier - aujourd'hui disparu pour des raisons dont l'évocation serait ici hors sujet - , de lampiste à la  S.T. F.

Il agrippa l'échelle à deux mains et d'un coup de reins énergique parvint à atteindre la troisième marche de sa cabine de pilotage. 

Les huit chevaux de la GALATEE série IV tournèrent à droite et avalèrent les quelques dizaines de newdécapieds qui séparaient le Marquis de l'agitation qui régnait autour du stade. 

- C'est un véritable champ de bataille Monsieur le Marquis !

Le Marquis écarta de l'index le rideau de velours qui l'isolait des regards indiscrets pour constater l'état de la chose. Mais la couche de noir de fumée aurait empêché quiconque d'accéder à une vision optimum.

- On a gagné, on a gagné ! hurla l'un des fêtards en passant une tête rouge et tuméfiée par la fenêtre de la portière du postillon, tandis que ses camarades de combat solidaires, le soutenaient en poussant sur ses énormes fesses pour le préserver d'une chute définitive de l'échelle de GALATEE.

 - Moi aussi ! Moi aussi ! s'écria le Marquis en sautillant hystériquement sur son siège pour se faire entendre par la populace éméchée.

Mais l'homme, sans doute au bout de ses forces, lâcha prise, non sans vomir une acide fusée de vinasse rougeâtre sur le dossier du fauteuil capitonné bleu parme du chauffeur. 

Le Marquis fit glisser la vitre qui le séparait de Nicéphore et ouvrit son vitrail droit. 

Nicéphore essuya sommairement les traces de la beuverie avec la première page du dernier numéro du journal de campagne du Marquis. 

La fête battait son plein. Ce n'était que chants paillards, rires tonitruants et gorges déployées, trilles de rots gras forte au refrain précédant des couplets de rondes flatulentes mezzo voce, plaisanteries grivoises de soudards et graveleuses altercations suivies de bourrades et d'embrassades viriles d'hommes vacillants, accrochés par wagons de deux, ou en trains de monômes évoluant sur la prairie en d'erratiques sinusoïdes. 

Partout autour du véhicule de la Gouvernance locale s'étalaient : banderoles abandonnées, pancartes brisées, cadavres de bouteilles et soûlards étendus sur le pré, ventre à l'air et bras en croix en un ultime hommage à Dyonisos. Dans la guinguette, au coeur de la bacchanale, parmi les tables retournées et les chaises renversées, au milieu de ces hommes avachis qui s'affalaient sur le zinc ou s'effondraient sur les bancs, la danse du canard interprétée par les danseurs eux-mêmes, en choeur avec les musiciens de l'orchestre rescapés du naufrage, s'essayait à contourner tant bien que mal les divers éléments et accessoires de ce carnavalesque décor de fin du monde. 

Nicéphore de FOUANCE attendit que le groupe s'éloigne de quelques pas à la recherche d'une nouvelle rencontre du quatrième type.

- Il vont finir par tomber dans la Veine ! s'exclama le chauffeur dans le gueuloir qui transmettait sa voix dans l'appartement mobile du Marquis.

Après un long moment de silence le Marquis dit calmement d'une voix grave et déterminée :

 - Fais-moi penser à faire installer une palissade aux couleurs de la cité.

Nicéphore comprit alors qu'il était temps de rentrer rue de la Comédie et se contenta d'un... :

- Direction : Villa Thalie !Thaaliie !

- File ! confirma le Marquis d'une voix étranglée. 

Dix minutes plus tard la lourde limousine franchit le portail de la propriété et s'engagea sur l'allée de pavés joints au mortier sec.

- C'était une belle journée Monseigneur !

- Ne parle jamais au passé Nicéphore, ça porte la poisse ; seuls le présent et l'avenir m'importent.

- Vous voulez dire qu'il ne faut jamais regarder dans le rétroviseur, Sire.

- Jamais.

- Et si l'histoire nous rattrape Sire, que faire alors ?

- Cours plus vite crétin. De toute façon il n'y a plus d'histoire.

- Mais pourquoi dit-on qu'il y en a qui continuent à courir quand il n'y a plus de haie à sauter ?

- C'est l'effet induit par la puissance.

- L'effet quoi ?

- Tais-toi et conduis, tu penseras demain. Et ne m'appelles plus Sire. Continue à m'appeler Marquis ça sera plus simple.

- C'est comme tu veux Marquis.

- Je te dis tu, tu me dis vous, je n'ai pas gardé les cochons avec toi que je sache. Alors : respect, s'il te plaît, et dors bien.

- Puis-je m'autoriser à demander à Sa Glorieuse et Sublime Eminence SGDG ,à quelle heure elle entend être conduite demain à sa réception de la Sous-Préfecture ?

- Elle est avancée à 11 heures...

- Je serai là à moins le quart de onze heures. Alors à demain Monsieur le Marquis.

- Elle est avancée à 11 heures ce matin, la réception. Si tu savais écouter au lieu d'entendre, tu m'aurais compris, imbécile. 

GALATEE IVs'arrêta en glissant avec douceur comme un navire courant sur son erre sous le auvent de la grande porte d'entrée, dont les formes prémonitoires annonçaient déjà l'art nouveau.

- Alors bonne matinée Monsieur le Marquis.

- Marquis suffit, on a dit.

 

J’ai dit

Plume Solidaire

 STF : Sociétéete dDes Transports Ferroviaires

 GALATEE série IV : 8 chevaux /10 sabots à pompe, série IV. Modèle de carrosse officiel national républicain

 newdécapied : nouvelle mesure de distance recommandée par une directive de la Fédération des Etats, correspondant grosso modo à l'ancienne mesure du pied humain (0,50m), à l'époque où les masses vivaient en grande pompe sur un même pied d’égalité.

 wagons : voiture

 Muse de la Comédie

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Le Film de l'immigration

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Un film de 40 minutes pour deux siècles d’immigration en France. 

 

Source :

Cité nationale de l'histoire de l'immigration